la fin du Ca-Ira (par Pierre Villié. Directeur de fouille)

Construit à Brest en 1781, sous le nom de la Couronne, le Ca-Ira était un vaisseau de 63 m de long et de 16,50 m de large. A son bord se trouvait un équipage de 950 hommes. En 1780, la Marine Française compte sept unités de 80 canons sur un total de 78 vaisseaux allant du 110 au 50 canons. En 1784, le bâtiment est remanié à Toulon . La Couronne devient le Ca-Ira durant l’année 1792.

Le 14 mars 1795, le Ca-Ira est pris par les Anglais à la bataille du Cap Noli devant Gênes. Intégré dans la Royal Navy, le bâtiment est proposé à Nelson qui le refuse en raison de son mauvais état. Il est alors mis sur rade en Corse à Saint-Florent pour recevoir des blessés de guerre. Le grand navire ne devait plus jamais sortir de cette rade...


Maquette d'époque de la Couronne (futur Ca-Ira)

Depuis qu’ils ont pris la Corse, en février 1794, les Anglais utilisent la baie de Saint Florent comme base d’escadre. La vie du petit port est rythmée par la présence des marins britanniques. Sur rade deux vaisseaux servent d’hôpitaux, le Ca Ira et le Dolphin. Au début avril 1796, ce sont dix sept navires qui mouillent sous la tour de la Mortella, au Nord Ouest de la baie. Plus de douze mille hommes se trouvent en ville et sur les ponts des unités de la Royal Navy. Cependant l’ordre règne, la rigueur est de mise, même si parfois le vin coule un peu et des rixes éclatent. Mais ce sont là des histoires d’hommes et l’amirauté veille aux bonnes relations avec les Corses.


11 avril 1796 -18 h 30

Sur le Ca Ira, vaisseau de 80 canons pris un an plus tôt aux Français à la bataille du Golfe de Gênes, tout est calme. Le commandant Patter est à terre, les 140 blessés, dont bon nombre d’amputés, se préparent à passer une nuit ordinaire. William Briggs va préparer le lit du maître charpentier Drake. Une modeste cabine a été aménagée au niveau de la ligne de flottaison. Luxe suprême et impossible sur un bâtiment de campagne; les gradés ont ici leur confort. En entrant dans les appartements de son supérieur, le jeune William tire les rideaux du chassis vitré de la porte qui donne sur la coursive. Intrigué le matelot, Alley colle sont oeil à un trou de la cloison. Il voit Brigg, avec en mains deux allumettes enflammées. Ne distinguant rien d’autre, il continu son chemin non sans se faire la réflexion que cela est contraire au règlement qui interdit strictement toute flamme nue à l’intérieur des navires.

11 avril 1796 - 18 h 45

Le maître charpentier quitte le pont supérieur et gagne sa cabine. S’en approchant, il reconnaît une odeur de fumée qui s’échappe de son logement. Immédiatement, l’alerte est donnée et de partout les valides font circuler des baquets et des seaux d’eau.

11 avril 1796 - 19 h

L’étoupe qui est stockée dans le local attenant à la cabine du maître charpentier s’embrase. Le feu se propage très rapidement, John Curtis, deuxième lieutenant, arrache une planche de la paroi pour projeter de l’eau, mais la fumée l’oblige à reculer. Il ordonne de pratiquer une ouverture dans le pont supérieur juste au-dessus du feu. La situation s’aggrave. Le signal de détresse est lancé. Immédiatement le commandant Patter se met en route vers son bord.

11 avril 1796 - 19 h 30

Les flammes gagnent le gréement. Le commandant Patter qui vient d’arriver estime la situation désespérée. Ordre est donné d’évacuer le navire, de couper les câbles d’ancre et de sortir du mouillage le plus rapidement pour éviter de propager l’incendie à d’autres unités. Deux chaloupes s’approchent et prennent en remorque le Ca Ira. L’évacuation se poursuit, des embarcations sont amenées sous les sabords. Les blessés sont passés un à un aux sauveteurs; Le commandant Patter dirige les opérations depuis le gaillard arrière. En moins d’une heure tout risque est écarté pour l’escadre. Le Ca Ira poussé par le vent se dirige lentement vers Saint Florent. Regroupés à terre les naufragés se comptent. A l’appel, quatre invalides sont portés manquants.

12 avril 1796 - 0 h

Le Ca Ira touche la plage au nord de la citadelle. Maintenant la ville est menacée. Il faut ramener en mer l’épave qui ne cesse de flamber. La chaleur, la fumée rendent l’approche impossible. Des hommes sont postés sur le rivage pour parer aux flammèches.

12 avril 1796 - 8 h

Allégé, le vaisseau se soulève du fond. Poussé par une légère brise du sud, il prend le large. Désormais il n’est plus qu’une épave. Dépêchées du Dolphin, des chaloupes tentent de l’échouer à nouveau. Le Ca Ira livre sa dernière bataille et sombre à environ 500 mètres de la plage sur un fond de posidonies de 12 à 15 mètres.

27 mai 1796

La cour martiale réunie à bord de l’Egmont conclue à l’accident. Il est supposé que le vaisseau ait pris feu à partir d’une bouteille de liquide inflammable (non précisé), très malencontreusement gardée dans la cabine du charpentier sur une étagère fixée à la paroi qui la séparait d’une réserve d’étoupe. Le commandant Patter n’est pas reconnu coupable. Le devenir de l’imprudent William Briggs ne figure pas dans l’arrêt, reste en suspend la question de savoir pourquoi ce dernier a tiré les rideaux pour se cacher des regards de l’équipage. Dans sa déposition le maître charpentier fait état de l’existence d’une réserve de vin. Alors pourquoi ne pas imaginer ...

 


La prise du Ca-Ira par la Royal Navy à la bataille du Cap Noli en 1795

 

En 1988, une carte du début du XIXeme siècle , à l’encre de chine de couleur est découverte à la Bibliothèque Nationale. Cette carte sera le signal de cinq années de fouilles entreprises par l'Association Tech Sub . Le Ca-Ira re-intègre le patrimoine naval français et aprés deux siècles de silence va enfin livrer ses secrets... (cf. les données archéologiques de la fouille)

Le Ca Ira dans less archives historiques de l'Amirauté Britannique :
- La journée du 12 avril 1796 dans le journal de bord de l'Amiral Jervis commandant la flotte anglaise stationnée en baie de St-Florent
- extrait du jugement de la cour martiale du 27 mai 1796